by Kathryn Hall
Trainee architect turned soldier turned filmmaker Amos Gitai, known
for his often didactic documentary and fictionalised explorations into
the relationship between war, religion, the citizen, and the state in
modern day Israel, is currently harbouring sixteen ‘Traces’ of his films
underground in Palais de Tokyo.
The ‘chantier,’ as this space is called, is
pretty fitting as a location for Gitai’s installation. Never
sentimentalising or decorative in his approach to historical filmmaking,
this vast, long-abandoned area, with its dinginess and dustiness, its
bare pillars and musky scent, is similarly lacking in embellishment. His
films are projected in an unfussy, unpolished manner straight onto
uneven concrete and brickwork, giving them even more of a sense of
urgency and essentialness. It’s a site currently under reconstruction,
and on taking tentative steps downwards into this breezy bunker the
infrastructural shadows of its former glory can be seen: relics of
grandiose light fixtures and long out of use wiring hang overhead, while
beyond building site railings lie steps that now lead into nothingness
and crumbling lettering indicating its previous stint as cinematheque.
Gitai’s films explore exile and oppression,
themes made more pronounced by the fact that many excerpts are viewed
from a distance, through bars of the metal fencing. In ‘Free Zone,’
its striking opening scene with Natalie Portman on display here, Gitai
addresses boundaries both physical and mental, and walking around this
exhibition it’s difficult to know at all times where boundaries lie;
some areas are blocked off, at times seemingly arbitrarily, while other
corners lay open but intimidating in their dark emptiness.
While the previous exhibition, Sophie
Calle’s ‘Rachel, Monique,’ inaugurated this unique space with a showcase
of grief for her late mother, Gitai’s subject in much of the work here
is paternal, though his focus is more on his father’s life than his
death. ‘Lullaby to My Father’ is a work in progress, introduced with
photography of his father, German-Jewish architect Munio Weinraub,
official documents relating to him, and a dedicatory poem written by
Gitai. A student at the Bauhaus, Weinraub worked under Mies van der Rohe
until the school was forced to close in 1933, being too
forward-thinking for Hitler’s conservative tastes. Following
anti-fascist activism, he was put on trial for treason and subsequently
imprisoned and exiled to Switzerland, before departing for Palestine.
Just as his father refused nostalgia for the past in his architectural
design, so Gitai’s series of shorts chronicle Weinraub’s experience
without romanticising (we don’t even see a human portrayal of Weinraub).
A slow, tracking shot of an abandoned Nazi fort is followed by hands
type-writing Weinraub’s verdict, and the courtroom scene, presented with
titles in a style similar to a contemporary TV news headline, while on
an adjoining wall is a snippet from Gitai’s 1994 documentation of
Alessandra Mussolini’s mayoral campaign in ‘Au Nom du Duce’; these act
both as a haunting reminder of what has come before and as a caution for
the potential for something comparable to come again.
The mood here is at times oppressive as its
impossible to focus in on just one projection at any time. A violin
lament from the first film overlaps with Natalie Portman’s tears and an
emotional rendition of Hebrew song ‘Had Gadia,’ followed by more violin,
the tap-tap-tapping of the typewriter, then overlaid with the bustling
bodies of ‘Au Nom du Duce,’ and the harsh delivery of the German judge.
It’s an overwhelming visual and sonic experience, offering no respite,
but it seems that this is the point; taken together these films make us
reflect on our own sense of boundary and security, while also reminding
us of the world’s ongoing turbulence.
Gitai’s films are appearing on the walls at Palais de Tokyo until 10th April, at 5€ a ticket.
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par Kathryn Hall
Traduit de l’anglais par Hugues Vernet
Apprenti architecte, puis soldat, puis réalisateur, Amos Gitai, connu
pour ses documentaires souvent didactiques et ses explorations
romancées sur la relation entre guerre, religion, état et citoyen dans
l’Israël moderne, héberge en ce moment seize « Traces » de ses films au
sous-sol du Palais de Tokyo.
Le « chantier », tel qu’est appelé l’espace, convient parfaitement à
l’installation de Gitai. A l’image de sa réalisation, jamais
sentimentaliste ou décorative dans son approche des films historiques,
cet espace vaste depuis longtemps abandonné, d’aspect sombre et
poussiéreux, avec des piliers nus et une odeur musquée, manque
pareillement d’embellissements. Ses films sont présentés de manière
brute et sans apprêts, projetés directement sur du béton irrégulier et
sur des briques, ce qui leur donne un aspect urgent et allant à
l’essentiel. C’est pour l’instant un site en reconstruction, et en
avançant de quelques pas timides vers le bas de ce bunker éventré, on
peut apercevoir l’ombre architecturale de sa gloire passée : les
reliques d’installations d’éclairage grandioses et de longs câbles
hors-service pendant au plafond, et au-delà des barrières du site, des
marches ne menant nulle-part et des lettres croulantes indiquant la
cinémathèque qui se trouvait là auparavant.
Les films de Gitai explorent l’exil et l’oppression, des thèmes
rendus encore plus présents par la distanciation avec laquelle sont
présentés beaucoup d’extraits, visibles seulement à travers les barres
d’une barrière en métal. Dans « Free Zone
» (zone libre), dont la scène d’ouverture marquante avec Natalie
Portman est montrée ci-dessus, Gitai s’attaque aux frontières physiques
et mentales, et en parcourant cette exposition il est parfois difficile
de savoir où se trouvent ces frontières ; certains espaces sont fermés,
par moments de façon arbitraire semble-t-il, alors que d’autres réduits
sont bien ouverts mais intimident à cause de leurs recoins sombres et
vides.
L’exposition précédente, « Rachel, Monique » de Sophie Calle, a
inauguré cet espace unique par une exposition de douleur pour sa mère
décédée, alors que Gitai aborde le sujet du père dans la majeure partie
du travail qu’il présente ici, bien qu’il se concentre sur la vie de son
père plutôt que sur sa mort. « Lullaby to my father » (Berceuse pour
mon père) est une œuvre en cours d’exécution, qui contient des
photographies de son père, l’architecte juif-allemand Munio Weinraub,
des documents officiels en rapport avec lui, et un poème écrit par Gitai
qui lui est dédicacé. Weinraub, un élève du Bauhaus, travailla sous la
direction de Mies van Rohe jusqu’à ce que l’école soit obligée de
fermer, étant trop avant-gardiste pour les gouts conservateurs d’Hitler.
Dû à son activisme antifasciste, il fut jugé pour trahison et par la
suite emprisonné et exilé en Suisse, avant de partir vers la Palestine.
De la même façon que son père refusait la nostalgie du passé dans son
architecture, la série de photos de Gitai chroniquent la vie de Weinraub
sans la romancer (on ne voit pas une seule représentation humaine de
Weinraub). Le travelling lent d’un fort nazi abandonné est suivi par
l’image des mains tapant le verdict de Weinraub à la machine, puis par
la scène du tribunal, présentée avec des titres défilant à la manière
des informations télévisées contemporaines, tandis que sur le mur voisin
est projeté un fragment du documentaire réalisé par Gitai en 1994 au
sujet de la campagne pour les élections municipales d’Alessandra
Mussolini « Au Nom du Duce » ; ces entités agissent comme un rappel
obsédant de ce qui est déjà arrivé, mais aussi comme une mise en garde
du danger potentiel que quelque chose de comparable se reproduise.
L’ambiance est parfois oppressive, parce qu’il est impossible de se
concentrer sur une seule projection à la fois. Une lamentation de violon
déborde sur les larmes de Natalie Portman et une interprétation
émotionnelle de la chanson hébraïque « Had Gadia » est accompagnée par
un violon et les cliquetis des machines à écrire, puis superposé avec
les corps animés d’« Au Nom du Duce » et la déclaration sèche du verdict
allemand. C’est une expérience auditive et visuelle bouleversante qui
n’offre aucun repos, mais il semble que le but soit bien là ; mis côte à
côte, ces films nous font réfléchir sur notre propre sens des limites
et de la sécurité, tout en nous rappelant la turbulence continue du
monde.
Les films de Gitai sont projetés sur les murs du Palais de Tokyo jusqu’au 10 Avril, pour 5 euros le ticket.