" Je n'étais pas préparé pour le cinéma, en fait c'est la vie qui a fait
de moi un cinéaste. " Tels sont les mots de Chen Kaige, Léopard
d'Honneur cette année au Festival du Film de Locarno. La figure de proue,
avec Zhang Yimou, de la Cinquième Génération du cinéma
chinois a commencé sa vie comme bûcheron pendant la Révolution
Culturelle avant de marquer de son empreinte le cinéma international.
Habitué du festival de Cannes, où il décrocha en 1993 la
Palme d'Or pour Adieu ma Concubine, c'est pourtant à Locarno qu'il
fut découvert avec son deuxième long métrage La Terre
Jaune qui remporta le Léopard d'Argent.

Mais c'est son cinquième film Life on a string (Une vie sur
une corde), l'histoire d'un musicien et de son élève engagés
dans la recherche de la perfection et indifférents de l'agitation du
monde, que le cinéaste chinois a choisi de présenter sur la Piazza
Grande. A l'occasion de cet hommage, nous avons choisi de republier des propos
tenus par Chen Kaige à l'occasion de la présentation de son dernier
film L'Empereur et l'Assassin à Cannes dans lesquels il revient
sur sa jeunesse en Chine. Depuis, il a tourné son premier film en anglais
Killing me softly avec Heather Graham et Joseph Fiennes.

L'Histoire comme commentaire du monde d'aujourd'hui ?

Je n'essaie pas de donner aux gens des leçons d'histoire. Regardez par exemple
ce qui se passe en Yougoslavie aujourd'hui et vous comprendrez pourquoi je fais
ce film. Je pense que c'est ce premier Empereur de Chine qui a rendu possible
l'unité de la Chine, mais d'un autre côté je suis totalement opposé à la façon
dont il l'a construite.Tous les politiciens du monde se fixent des buts et veulent
être suivis dans ces objectifs, mais la question qui se pose est "comment parvenir
à ce but ?" Ils ont le choix, et le choix que fait mon personnage est celui
de la violence, malheureusement. Personellement, je ne crois pas à l'idée qu'on
puisse tuer pour la paix, je n'ai jamais cru que l'on puisse arriver à quelque
chose de bien par la violence. Je suis venu cette fois-ci à Cannes avec une
certaine tristesse et tout mon amour, tentant de me rappeler tous les innocents
morts dans différents types de conflits. L'Empereur et l'Assassin est
un film sur la guerre et la paix, sur le meurtre et la violence, mais aussi
sur l'amour. Je suis ici pour dire combien je hais la violence.

Les influences

Je me souviens que j'allais souvent voir des oeuvres de Shakespeare quand j'étais
jeune. C'était étrange, surtout les dialogues. J'ai beaucoup appris des pièces
de Shakespeare. Quant à Kurosawa, je tenais à vous faire remarquer que M. Iseki,
mon producteur, a également été coproducteur de Ran. Mais je ne pense
pas avoir été vraimant influencé dans mon travail de réalisateur ni par Shakespeare,
ni par Kurosawa, pour faire ce film. J'essaie toujours de faire travailler ma
propre imagination. Quand je travaille avec beaucoup de figurants, au milieu
d'eux, je suis quelque part entre la réalité et la fiction, je ne sais pas bien
où je me trouve. Je trouve cela fantastique, voir tous ces gens en costume,
c'est très beau. Je reconnais avoir vu beaucoup de films occidentaux, surtout
lorsque j'étais étudiant, et avoir été fortement marqué par ces oeuvres. Mais
pas par un réalisateur en particulier. Vous pouvez d'ailleurs vous en rendre
compte dans la scène de bataille, c'est filmé de manière très différente de
Kurosawa.

Une jeunesse chinoise

Je ne me considère pas du tout comme l'un des plus grands réalisateurs au
monde, pas du tout. Je me considère toujours comme un étudiant de cinéma. Je
ne veux pas être prétentieux. Par rapport à tous les grands maîtres, qu'ils
soient vivants ou décédés, je me sens vraiment comme un étudiant. Pendant la
Révolution Culturelle, j'ai été envoyé dans la province du Yunan, un endroit
qui avait été auparavant sous contôle français et qui était donc différent des
autres provinces. J'étais bûcheron là-bas, mon travail c'était d'abattre des
arbres, je me sentais presque comme un tueur. On a mis à terre toute la forêt.
Je le regrette maintenant, mais on n'avait pas vraiment le choix. Après ça,
j'ai fait l'armée. J'ai combattu les Américains au Viêt-Nam pendant six mois.
C'était une expérience terrible, ma troupe a été bombardée par les B52's...
Mais j'ai survécu et après ça, je suis retourné à Pékin pour travailler comme
ouvrier. Je m'occupais de l'air conditionné. Mon père était un réalisateur.
Moi, à cause de la Révolution Culturelle qui avait fermé les écoles, je n'avais
pas pu poursuivre mes études. A la fin de la révolution, comme je ne pouvais
pas retourner dans mon ancienne université, des amis m'ont conseillé d'aller
à l'Ecole de Cinéma. Il y avait une opportunité pour moi là-bas et je l'ai saisie.
C'est de cette manière que je suis devenu cinéaste. Je n'étais pas préparé à
être étudiant de cinéma, je ne connaissais pas suffisamment l'histoire du cinéma
et toutes ces choses, en fait c'est la vie qui a fait de moi un cinéaste. J'ai
beaucoup souffert à cette époque, mais je suis content car j'ai aussi beaucoup
appris.

Robin Gatto & Yannis Polinacci