Confucéen confus par la perception que les Américains ont des
chinois, Ang Lee n'a pas cessé d'aborder les questions de l'identité
et de la famille au cours d'une filmographie déjà bien remplie
qui l'a mené aux quatre coins du monde. Réalisé en 1999,
Chevauchée avec le Diable est passé pratiquement inaperçu
aux Etats Unis et n'a du sa tardive sortie française qu'au succès
planétaire de Tigre
& Dragon. Il faut dire qu'Ang Lee n'a pas opté pour la facilité
pour son premier grand spectacle à l'américaine, plongeant dans
les affres de la guérilla sudiste pendant la Guerre Civile américaine,
entouré d'un casting postpubère assez peu charismatique (dont
Tobey Maguire, prochainement Spiderman chez Raimi). Mais depuis qu'Ang Lee s'est
taillé une cote de popularité égale à celle de John
Woo dans le monde du cinéma avec son épopée kung fu, tout
roule beaucoup mieux pour lui et c'est dans une détente totale qu'il
nous parle de son bien étrange western...
A chaque nouveau film, vous parvenez à surprendre en traitant d'un
sujet nouveau. Avec Chevauchée avec le Diable, on a pu avoir l'impression
que vous vous américanisiez de plus en plus...
Je ne l'ai vraiment pas fait exprès! (rires) Vous savez, pour un réalisateur
dont la carrière marche plutôt bien, il est essentiel de trouver
à chaque fois de nouveaux sujets, de nouvelles choses excitantes. Donc,
pour chaque nouveau film, je cherche quelque chose d'encore inédit pour
moi. Avec ce film, je trouvais vraiment intéressant d'essayer de nouvelles
choses en matière d'images et de narration. C'était vraiment une
aventure nouvelle pour moi, différente de celle de Raisons & Sentiments,
pour laquelle le producteur était juste venu me trouver.
Quiand j'étais au milieu du tournage de Raison & Sentiments
- qui était mon deuxième "film de femmes" consécutif!
- je me suis dit: "Hé, j'aimerais quand même bien faire un
film de mecs!" (rires) Alors, je me suis mis à penser à des
trucs comme la guerre, la saleté, des bras coupés et des armes!
(rires) Après, je me suis mis en quête d'une histoire, et j'ai
finalement trouvé ce livre de Daniel Woodrell, qui m'a vraiment accroché.
Donc j'ai vraiment commencé à m'intéresser à ce
film assez tôt. Et c'est l'histoire qui m'a vraiment attiré.
Aussi, il faut savoir que je vis aux Etats Unis avec le statut de résident.
Je me soucie donc beaucoup de ce qui se passe aux Etats Unis et de leur emprise
culturelle sur le monde, qui dure depuis maintenant près de 100 ans.
Mais historiquement parlant, je pense que tout est intéressant et peut
avoir des résonances universelles pour un réalisateur. Il est
de plus intéressant de traiter de sujets que les américains n'ont
pas forcément beaucoup abordé. Je ne pense pas avoir vu beaucoup
de films sur les bushwhackers, il n'y a pas beaucoup d'articles qui expliquent
leurs actes, leur croisade justicière, ils ont plutôt été
mélangés avec le reste de l'histoire.
J'ai essayé en faisant ce film de respecter soigneusement les personnages
et leurs relations. Il y a dans ce film des choses plus importantes que la question
du Texas! Evidemment, la Guerre Civile constitue le canevas du film, mais je
pense qu'il parle vraiment des droits civils, de modernité et d'égalité.
C'étaient des idées nouvelles à cette époque. Aussi,
j'aime le fait que le film commence avec la description d'une situation de guerre
très chaotique, et s'achève dans une ferme paisible où
des gens essaient de faire le point sur leurs relations. C'est aussi une des
raisons qui m'a poussé à faire ce film.
Un autre sujet du film, c'est l'intégration. L'un des personnages
principaux est continuellement appelé: "Dutchie" (le hollandais).
Je ressens très bien la situation de ce personnage. Je viens moi-même
de Taiwan, où ma famille s'est installée après avoir fui
la Chine communiste. Quand je suis venu aux Etats Unis, j'ai été
choqué de découvrir que les Nationalistes chinois étaient
mis sur le même plan que les communistes. Et depuis que je vis aux Etats
Unis, je n'ai jamais cessé de m'y sentir un peu comme un outsider. J'ai
d'ailleurs fait ce film en outsider. Je suis donc bel et bien dans la situation
de Dutchie! (rires)
Les acteurs ont eu une période de préparation très
longue pour ce film, afin d'apprendre à monter à cheval, à
se servir des armes, etc. Parlez-nous un peu de ce travail...
Pour moi, des acteurs professionnels doivent savoir être professionnels
dans tous les domaines. Aussi, il est important qu'un film d'époque ait
vraiment l'air authentique. Je voulais qu'il y ait beaucoup de réalisme
dans les scènes de violence, donc il était important que les acteurs
sachent se débrouiller avec des chevaux, des armes; ils dont donc suivi
un véritable entraînement militaire. Je voulais aussi qu'ils aient
bien assimilé les dures conditions de vie des bushwhackers. Tobey (McGuire)
ne s'est donc pas douché pendant deux mois! (rires) Il a participé
à des leçons de véritables combattants qui lui ont fait
comprendre ce que c'était que de loger une balle dans le corps de quelqu'un.
Ensuite, tous ensemble, nous avons fait une partie de paintball, pour nous défouler
mais aussi pour mettre en application quelques tactiques de combat! (rires)
Et tous les matins avant le tournage, nous répétions, nous parlions
de leur apprentissage et de leurs expériences. Nous avons aussi essayé
de trouver pour chaque personnage une façon particulière de manier
les armes, afin de bien réfléter la nature de chacun.
Ce film vous a-t-il en fin de compte aidé à vous sentir un
peu moins étranger aux Etats Unis?
Vous savez, j'ai quand même grandi avec beaucoup d'influences américaines,
alors je ne me sens pas si étranger que ça aux Etats Unis... Pour
répondre à votre question, je dois dire que j'ai vraiment eu conscience
de ma différence sur Raison & Sentiments. Pour les repérages
du film, nous sommes allés dans tout un tas de grandes maisons artistocratiques,
et à chaque fois que l'on me présentait aux habitants des lieux,
je n'avais qu'une envie: me cacher! (rires) Mais les choses étaient très
différentes sur Chevauchée avec le Diable. Faire un film
sur la guerre civile américaine est une expérience vraiment...
intense. Et une fois qu'on est sur le tournage, avec les acteurs et l'équipe,
et qu'on est submergé dans les problèmes de mise en scène,
de lumière, etc, je peux vous dire qu'on oublie complètement ces
questions d'intégration pour ne plus se concentrer que sur le film, en
espérant qu'il sera bon!
Propos et images recueillis par Yannis
Polinacci & Robin Gatto
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et Dragon