Cinéaste
de la mémoire, du temps qui passe et de la fragilité humaine,
Marc Recha se dit ravi de participer pour la première fois de sa carrière
à la grande compétition cannoise. Avec, toutefois, un bémol:
"Le festival m'empêche de travailler", nous confie-t-il. "Moi,
je travaille tout le temps. J'écris 8 heures par jour. Mais avec Cannes,
c'est impossible. Donc il faut que j'attende la fin du festival pour recommencer
à travailler sur mon nouveau film!" Rencontre avec un réalisateur
qui ne chôme pas...
Pau et son
Frère s'inscrit dans la continuité directe de L'Arbre aux
Cerises...
L'Arbre aux
Cerises et Pau... partent de la même origine: le paysage. A
chaque fois, je me suis dit "Il est très beau ce paysage, il faut
faire quelque chose ici". Ces paysages, je les connais très bien.
Tout petit, je partais dans ces campagnes en colonie de vacances. Pour Pau...,
j'ai commencé à travailler sur l'idée de l'absence et de
la non-communication à travers l'absence. J'ai commencé à
construire des moments et des personnages emblématiques. Après
est venue l'aventure humaine du tournage, pendant trois mois j'ai découvert
en direct, jour apès jour, tout le film, j'ai commencé à
construire tout le film. Après les dix versions du scénario, les
repérages, les entretiens avec les villageois, les recherches sur la
lumière, j'ai commencé à faire des répétitions,
et à partir de ce moment là, j'ai commencé à inventer
le film en direct. Et surtout, j'ai oublié le scénario pour tourner
d'une manière libre. J'ai ouvert une fenêtre à la vie, je
l'ai laissée passer dans cette histoire. Et c'est ça le plus important,
le moment de la cohabitaiton, cette expérience de trois mois à
travers laquelle on fait quelque chose de vivant, de frais, de direct. La complicité
avec les acteurs s'installe, on trouve des moments révélateurs
avec les gens qui font le film. Pau... est un film très mobile,
très vivant, et très personnel. Je parle de ma vie, de mes proches,
de la vie même. C'est pourquoi le film est dédié à
mes amis.
Vous nous faites
beaucoup penser à Cassavetes par tous ces aspects...
C'est vrai que
je pense beaucoup à Cassavetes. Je pense aussi à cette idée
d'Orson Welles qui disait qu'il inventait du faux pour inventer du vrai. Quand
le scénario est écrit, il faut oublier, ouvrir la fenêtre
à la vie, je ne crois pas à la perfection d'un film. Je ne fais
pas de découpages, de story boards. Des fois, j'arrive sur le tournage
sans vraiment savoir exactement ce que je vais filmer. Je travaille sur l'inspiration
du moment. Et c'est ça qu'on voit dans le film, cette fragilité,
cette mise au bord de l'abîme. Le film est fragile, c'est pourquoi j'insiste
qu'il faut l'accompagner comme un enfant à l'école, sans arrêt,
il faut parler beaucoup avec tout le monde, la vie passe très vite, il
y a ce système horrible de consommation, de compétition,... je
ne crois pas en tout ça, je pense tout doucement à mon cinéma,
calme comme une bonne bonne bouteille de vin, il faut y goûter, le savourer.
C'est comme un bon pétard. D'ailleurs, sur le tournage, tout le monde
fumait des pétards. C'est un film un peu vertigineux, non? (rires)
Vous souvenez-vous
d'un texte d'analyse du cinéma que vous aviez écrit, intitulé:
"Le cinéma comme position éthique"?
Oui. De plus en
plus pour moi, le cinéma est très proche de la vie, de ma vie,
de ma façon d'être. Donc je ne pense pas en termes de fiction.
Je préfère parler de choses qui me sont très proches.
Vous n'aimez
pas la compétition. En même temps, vous êtes à Cannes...
Oui, c'est vrai.
Mais Cannes possède cette chose merveilleuse: la dualité. Et pourquoi
pas? La vie est comme ça. La vie se construit de choses négatives
et positives. Pour moi, il n'y a pas non plus de dichotomie entre cinéma
pur et impur. Tout le cinéma est très intéressant. Je vois
plein de films, j'aime beaucoup le cinéma d'action, zapper devant la
télé, le cinéma de réflection... La vie n'est jamais
tout le temps la même chose, sinon on est comme des automates. Mais il
faut créer des moments pour la réflexion. Et le cinéma,
c'est un peu ça. Je ne sais pas si j'y arrive mais je veux en tout cas
construire un espace de réflexion pour les spectateurs, et que les personnages
qu'ils voient à l'écran continuent d'exister dans leurs esprits
têtes après la projection. Cette transcendance est une très
belle vertu du cinéma.
Quel rôle
donnez vous à la caméra dans votre univers de sensations?
La caméra
est comme un pinceau. Parfois il sert à faire des traits gras, à
d'autres moments des traits très subtils. Alors, parfois je veux me sentir
proche de mes personnages, après, je veux prendre un peu de distance,
cela dépend des moments. Quand Pau et sa mère pénètrent
pour la première fois dans la maison d'Alex, je suis obligé d'être
distant, là, par pudeur, mais à d'autres moments, je suis obligé
de faire des plans plus serrés. J'ai beaucoup parlé avec la chef-opératrice
Hélène Louvart, sur l'idée que la caméra ne devait
pas devenir une justification esthétique. Je n'aime pas ça. Je
préfère que la caméra passe d'une manière invisible.
Quand Pau et sa mère arrivent dans le village, c'est peut-être
un peu plus tactile et voyeur, c'est peut-être le regard d'Alex, mais
après il faut oublier la caméra.
Parfois, la
caméra est vraiment très visible, comme dans la scène du
métro où elle va chercher la présence dénudée
d'Alex...
Ah oui, ça
c'est fait exprès. Au début du film, la caméra est très
explicite. Après on l'oublie. Je travaille seulement avec les visages
et les paysages.
Comment la décision
de placer le spectre d'Alex dans l'histoire s'est-elle imposée à
vous?
C'est vrai que
dans la première version du scénario, il n'était pas là,
mais après je me suis dit: "tout le monde parle d'Alex, Alex c'est
le paysage, les sons, le pasage du temps, les miroirs, etc. Alors, il faut peut-être
construire une dimension humaine du personnage". Je me suis aussi demandé:
"Qui a travaillé ça? Buñuel, dans quelques films mexicains,
Bergman, dans Fanny et Alexandre. Ce moment extraordinaire quand le père
du petit garçon fait une apparition au bout du couloir, et le petit garçon
regarde cette espèce de fantôme. J'ai pensé à ça,
et je me suis dit:" Bon, il faut le mettre". A la fin, Alex finit
comme une métaphore de la mémoire, la mémoire de la vie,
la mémoire de tout.
Cette fois,
vous ne permettez pas qu'on coupe l'arbre à la fin. La fin de Pau est
plus positive...
Oui, c'est une
chose qui m'a fait rire quand j'écrivais le scénario... Je me
suis dit "Pourquoi pas? Pourquoi couper l'arbre?" Ce film parle de
la vie, alors il faut montrer des choses positives. Mais il y a encore une autre
chose rigolote: les cendres que Marta met au pied de l'arbre , ce ne sont pas
que les cendres d'Alex, il y a aussi les cendres d'un arbre... c'est la vie,
c'est comme ça!
Comment s'est
déroulée votre relation avec la chef-opératrice française
Hélène Louvart?
Cette fille est
merveilleuse. Pas seulement par sa volonté de travail, sa force physique
mais aussi part sa lucidité mentale, sa virtuosité dans le mouvement,
elle m'a touché beaucoup par sa manière de travailler la lumière
naturellement
avec le diaphragme. Elle a une sensibilité énorme.
N'avez-vous
jamais été tenté de manier vous même la caméra?
J'ai essayé,
mais j'ai fait rire tout le monde. Je suis un incapable avec la caméra
35 mm à l'épaule, c'est à peine si j'arrive à la
soulever, mais pour la mettre à l'épaule il faut que 4 personnes
m'aident. Je l'ai fait une seule fois, et c'est un plan que je n'ai jamais monté!
(rires)
Que peut-on
vous souhaiter pour l'avenir?
Beaucoup de travail.
J'ai déjà
fini un autre scénario. Ca fait trois mois que j'écris sans arrêt.
Je me suis dit qu'avec le festival de Cannes, il serait impossible de travailler,
alors j'ai préféré préparer bien les choses avant.
Je n'arrête jamais de travailler, en fait. Tous les jours, si c'est possible,
j'écris 8 heures. J'ai un bureau avec une bibliothèque, et je
n'arrête pas d'écrire. Bien sûr, il y a la fête, aussi
(rires), mais pas toujours... Avec le cinéma, il faut tout le temps travailler!
Robin
Gatto