Chez les Manda,
le cinéma est une affaire de couple. Pas étonnant donc que leur
premier long-métrage ne parle que de ça. Véritable dissection
des enjeux amoureux, moraux et socio-économiques de deux couples où
une même femme règne en diseuse de destin, Unloved de Kunitoshi
et Tamami Manda, avec la belle Yoko Moriguchi, a obtenu le Prix Futur Talent
de la 40ième Semaine de la Critique.
Pouvez-nous
vous parler de vos années d'études à l'Université
Rikkyo? Il semble que ce soit l'endroit où la plupart des réalisateurs
japonais présents dans les festivals actuellement se soient rencontrés,
à la faveur d'un club de réalisation de films 8 mm...
K. Manda: Je n'avais
jamais pensé que je parlerais à Cannes de l'Université
de Rikkyo! (rires) Je suis entré à l'Université en 1975
et là, j'ai rencontré Monsieur kiyoshi Kurosawa, qui était
en deuxième année. On s'est tout de suite très bien entendus
et on a commencé de faire des films en 8 mm ensemble. Nous avons continué
de faire ça après nos études, avec des nouveaux étudiants
de l'université, comme Monsieur Akihiko Shiota, Makoto Shinozaki, Shinji
Aoyama, et la future Madame Manda (sourire). Nous discutions beaucoup de cinéma,
nous nous entraidions pour faire des films, et quand Monsieur Kurosawa est passé
professionnel la plupart d'entre nous avons été assistants sur
ses premiers films. Malheureusement, au cours des années passées,
ce cercle a disparu et plus personne ne fait des films en 8 mm aujourd'hui.
Les réalisateurs
japonais de la génération actuelle parlent souvent de l'influence
qu'a eu sur eux l'enseignement de Shigehiko Hasumi. De quelle façon cet
enseignement vous a t-il influencé, vous?
(rires) Quand je
suis entré à l'université Rikkyo, je ne connaissais pas
encore le nom de Shigehiko Hasumi. Son nom n'était pas très connu
en dehors de l'université, il n'avait pas encore publié de livre,
seulement des articles dans des revues. Monsieur Kurosawa et moi avons donc
fait partie des premiers privilégiés à découvrir
ses cours. Ces cours étaient assez origininaux. Il nous faisait voir
des films puis il nous demandait: "Qu'avez vous vu dans ce film?"
Si quelqu'un disait, pour un film d'amour, "C'est un film où un
homme et une femme s'aiment", il se mettait en colère, il nous disait:
"Est-ce que l'amour se voit au cinéma? Est-ce que vous avez vu l'amour
à l'écran? Vous croyez vraiment que l'amour peut se filmer? L'avez-vous
vu de vos propres yeux?"
Pourquoi se mettait-il
en colère? Parce qu'il nous demandait de décrire les scènes,
ce qu'on avait vu à l'écran. Et nous, on avait jamais été
habitués à parler d'un film comme ça. Une fois qu'on avait
vu un film, on en parlait d'une manière abstraite, autrement dit on commençait
à l'oublier. Mais Monsieur Hasumi nous apprit qu'avant de passer à
l'abstraction, il fallait d'abord savoir réellement ce qui passait à
l'écran. Cela est resté profondément impressionné
en moi, et cela continue de me marquer aujourd'hui encore quand je regarde un
film. Et je pense que c'est vraiment comme ça qu'il faut penser et voir
le cinéma.
Qu'avez vous
appris auprès de Monsieur Kurosawa sur le tournage de Do Re Mi Fa
Girls et Kandagawa Wars?
Ce que j'ai appris,
et le plus important dont je me souvienne, c'est le travail sur un plateau de
professionnels, dans un système différent tant au point de vue
technique que de la mise en scène. Le budget, le nombre de membres de
l'équipe et de jours de tournage étaient fixés à
l'avance, et il fallait se débrouiller à l'intérieur de
ce cadre donné. C'était vraiment la grosse différence par
rapport à nos tournages précédents. Par contre, notre attitude
restait la même. Peur-être que Monsieur Kurosawa avait un sentiment
différent dans la mesure où c'était ses premiers films
professionnels, il devait être beaucoup plus tendu que nous, mais nous,
on était assez relax.
J'imagine que
le choix du sujet de son premier long-métrage n'est pas quelque chose
de facile. Comment s'est fait celui d'Unloved?
K. Manda: En ce
qui concerne l'idée du scénario, je vais demander à ma
femme de répondre, car c'est elle qui en est à l'origine.
T. Manda: La raison
pour laquelle il y a un grand décalage entre nos débuts et celui
de Monsieur Kurosawa tient au fait que l'opportunité ne s'est pas présentée
pour nous aussi vite. A partir du moment où l'on nous a dit :"Ca
y est, vous pouvez tourner un film", on a réfléchi au scénario
et ça s'est en fait passé très vite. Et c'est vrai que
c'est moi qui ai eu l'idée de cette histoire.
K. Manda: On ne
veut pas dire qu'on avait ce scénario depuis longtemps, ou qu'on l'avait
gardé au chaud depuis longtemps. Mais le développement du scénario
est le fruit de la relation que nous entretenons depuis plus d'une quinzaine
d'années, ma femme et moi. Et, effectivement, c'est la raison pour laquelle
nous avons pu le développer aussi vite à partir du moment où
Monsieur Sento Takenori nous a offert l'opportunité de réaliser
ce film.
Sento Takenori
m'a été présenté par Monsieur Aoyama. Il y a longtemps,
Aoyama avait travaillé comme assistant sur des films produits par Sento
et nous nous connaissions bien. Il regrettait beaucoup que je n'aie pas eu encore
l'opportunité de faire un premier film. Donc c'est lui qui a parlé
de moi à Sento qui, dans le cadre de Wowow, a lancé la série
J Movie Wars pour permettre à de jeunes réalisateurs de faire
leurs films. Et c'est dans ce cadre là que Sento m'a offert l'opportunité
de faire mon premier film. Auparavant, je n'avais réalisé qu'un
moyen métrage du nom de Remnant 6 (Spaceship). 5 ans s'étaient
écoulés entre Remnant 6 et Unloved, mais dans l'entretemps,
j'avais continué de voir Monsieur Takenori, nous avions discuté
et un jour il a sans doute pensé qu'il était temps de me donner
ma chance de faire mon premier film.
La première
réflexion qui m'est venue après la projection d'Unloved, c'était
"Tiens, ils ont voulu faire le film de couple ultime..." Comme il
existe "le film d'horreur ultime" ou le "film d'action ultime",
maintenant il y a le film de couple ultime!...
T. Manda: Quand
les gens nous demandent quel genre de film on a tourné, nous mêmes,
nous nous demandons: "Qu'est-ce que c'est? Est-ce un film d'amour?"
Il est plus facile de dire ça, mais cette réponse ne nous satisfait
pas complètement. C'est plutôt un film sur les relations humaines.
"Comment trouve t-on un partenaire? Qu'est ce que cela veut dire d'être
ensemble?" C'est une réflexion sur les relations humaines au niveau
le plus profond, et peut-être qu'effectivement votre appellation "film
de couple ultime" est la bonne. En tout cas, elle me plaît! (rires)
Robin
Gatto